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Abus de position dominante, refus de vente et pratiques anticoncurrentielles : les armes juridiques pour vous défendre
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Dans une économie de marché fondée sur la libre concurrence, certaines peuvent acquérir un pouvoir tel qu’elles en viennent à fausser le jeu normal de la concurrence. C’est le cas lorsqu’une entreprise en position dominante sur son marché abuse de son pouvoir pour évincer des concurrents ou exploiter indûment ses partenaires commerciaux. Des comportements comme le refus de vente de produits essentiels, la discrimination entre clients ou l’abus de d’un partenaire vulnérable constituent autant de pratiques anticoncurrentielles sévèrement sanctionnées par le droit français et européen.

Cet article propose un tour d’horizon complet de ces notions techniques en les expliquant de manière accessible. Nous définirons les concepts clés (position dominante, abus de position dominante, refus de vente, discrimination, abus de dépendance économique) et les fondements juridiques applicables (Code de commerce, Code de la consommation, TFUE). Une analyse détaillée de la française et européenne sera proposée, avec un tableau récapitulatif des affaires les plus marquantes (Commercial Solvents, United Brands, Bronner, Cegedim, Schneider, etc.). Nous présenterons enfin les voies de recours existantes en France pour les entreprises confrontées à de telles pratiques (saisine de l’Autorité de la concurrence, actions judiciaires en tribunal de commerce, référés, actions en dommages-intérêts, intervention de la Commission européenne), avant de souligner l’intérêt de se faire accompagner par un avocat spécialisé dans ce domaine complexe.

Sommaire

• Qu’est-ce qu’une position dominante ?

• Qu’est-ce qu’un abus de position dominante ?

• Qu’est-ce qu’un refus de vente ?

• Qu’est-ce qu’une pratique discriminatoire en concurrence ?

• Qu’est-ce que l’abus de dépendance économique ?

• Quels sont les fondements juridiques en droit français et européen ?

• Jurisprudence : les affaires marquantes en matière d’abus de position dominante

• Quelles sont les voies de recours en cas de pratiques anticoncurrentielles ?

• Pourquoi se faire accompagner par un avocat spécialisé ?

 

Qu’est-ce qu’une position dominante ?

En droit de la concurrence, on parle de position dominante lorsqu’une entreprise détient un pouvoir de marché suffisamment important pour agir indépendamment de ses concurrents, clients ou consommateurs sur un marché donné . Autrement dit, une entreprise dominante peut, dans une certaine mesure, dicter ses conditions (prix, quantités, conditions contractuelles) sans craindre la réaction de la concurrence ni perdre trop de clients au d’autres offreurs. Cette domination résulte souvent d’un ensemble de facteurs : part de marché très élevée, avance technologique, marque incontournable, accès privilégié à des ressources stratégiques, etc. L’exemple typique est celui d’une entreprise en situation de quasi-monopole sur un marché, même si une position dominante n’implique pas forcément un monopole absolu – il peut subsister des concurrents, mais l’entreprise dominante exerce une influence déterminante sur les conditions de concurrence .

Illustration : Dans l’affaire United Brands (CJCE 1978) concernant le marché de la banane, la société United Brands détenait environ 45 % de parts de marché en Europe. La Cour de justice a jugé qu’en raison de cette part significative, de la puissance financière de l’entreprise et de la popularité de sa marque Chiquita, United Brands occupait bien une position dominante sur le marché de la banane en Europe .

Il convient de souligner qu’être en position dominante n’est pas en soi illégal. Le droit de la concurrence n’interdit pas la domination d’un marché acquise par les mérites de l’entreprise (innovation, efficacité, réussite commerciale). En revanche, il prohibe l’abus de cette position lorsqu’elle est utilisée pour fausser la concurrence.

 

Qu’est-ce qu’un abus de position dominante ?

On parle d’abus de position dominante lorsque l’entreprise dominante adopte des comportements qui excèdent les pratiques de concurrence normales et portent atteinte à la concurrence ou aux partenaires commerciaux. L’idée centrale est qu’une entreprise en position de force ne doit pas utiliser son pouvoir de marché pour restreindre indûment la concurrence (en évincant des concurrents existants ou potentiels) ou pour imposer aux clients/fournisseurs des conditions inéquitables qu’elle n’aurait pu pratiquer sans ce pouvoir.

Le droit français (article L420-2 du Code de commerce) et le droit de l’Union européenne (article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’UE – TFUE) encadrent strictement ces abus. Exemples de pratiques abusives courantes  :

• Refus de vente (refusal to deal) : le fait pour une entreprise dominante de refuser de vendre un produit ou service essentiel à un partenaire (client ou distributeur), notamment dans le but d’évincer un concurrent.

• Ventes liées (tying) : imposer la vente conjointe de deux produits (ou subordonner la vente d’un produit A à l’achat d’un produit B), pour renforcer sa position ou exclure des concurrents sur le marché du produit lié.

• Conditions de vente discriminatoires : appliquer à des partenaires commerciaux des conditions inégales (prix, délais, services) pour des prestations équivalentes, de manière injustifiée, de sorte à avantager ou désavantager certains d’entre eux par rapport à d’autres.

• Prix prédateurs ou excessifs : pratiquer des prix anormalement bas (en dessous des coûts) pour éliminer des concurrents, ou au contraire des prix abusivement élevés en profitant de l’absence de concurrence (on parle alors de prix excessifs).

• Rabais de fidélité et exclusivités : accorder des remises ou avantages conditionnés à une exclusivité d’approvisionnement, ou conclure des contrats d’exclusivité, afin de fermer le marché aux concurrents.

• Rupture brutale de relations commerciales : interrompre sans motif légitime une relation commerciale établie afin de pénaliser un partenaire (par exemple s’il traite avec un concurrent), ce qui rejoint souvent le refus de vente.

Cette liste n’est pas exhaustive, mais ce sont des formes d’abus fréquemment rencontrées. L’essentiel est que le comportement incriminé n’aurait pas été possible sur un marché concurrentiel sans la puissance de l’entreprise dominante, et qu’il a pour effet (ou objet) de restreindre la concurrence. Le droit européen précise ainsi que l’abus se caractérise par des comportements qui faussent la concurrence sur un marché au détriment des consommateurs ou des partenaires commerciaux.

Important : Seule la position dominante abusive est prohibée. Une entreprise, même très puissante, a le droit de refuser certains contrats ou de pratiquer une stratégie commerciale agressive dès lors que cela reste dans le cadre d’une concurrence loyale. C’est l’excès et l’effet anticoncurrentiel de la pratique qui la fait basculer dans l’abus de domination.

 

Qu’est-ce qu’un refus de vente ?

Le refus de vente désigne le fait pour une entreprise de refuser de vendre un produit ou un service à un acheteur potentiel. En principe, dans les relations entre professionnels (B2B), une entreprise est libre de choisir ses clients et peut donc refuser une vente, sauf circonstances particulières. Toutefois, plusieurs situations encadrent strictement le refus de vente :

• Entreprise en position dominante : Si l’entreprise qui refuse de vendre dispose d’une position dominante sur un marché, ce refus peut constituer un abus de position dominante s’il a pour effet d’évincer un concurrent ou de verrouiller un marché. L’article L420-2 du Code de commerce vise explicitement le refus de vente comme un exemple d’abus . De même, la jurisprudence européenne considère qu’un refus de fournir un produit ou un accès peut être abusif dans des circonstances bien précises. Par exemple, la CJCE a jugé dans l’affaire Commercial Solvents (1974) qu’une entreprise dominante détenant un ingrédient essentiel commet un abus en refusant de le vendre à un client qui fabrique un produit dérivé, dans le but de réserver ce marché dérivé à elle-même, éliminant ainsi la concurrence de ce client . Autrement dit, lorsqu’un produit ou service est indispensable à l’activité d’autres acteurs, le dominant peut avoir l’obligation de le fournir pour ne pas tuer la concurrence. On parle dans ce cas de doctrine des infrastructures essentielles (« essential facility »). La Cour de justice a toutefois posé des critères stricts (arrêt Bronner, 1998) : le refus n’est abusif que si le service refusé est indispensable (pas d’alternative réaliste), que si ce refus élimine toute concurrence pour le demandeur, et s’il n’existe pas de justification objective au refus . En pratique, donc, tous les refus de contracter par une entreprise dominante ne sont pas illégaux : seulement ceux qui remplissent ces conditions exigeantes ou qui manifestement visent à exclure un rival.

• Refus de vente au consommateur (B2C) : En droit français de la consommation, il existe une règle spécifique qui interdit à un commerçant de refuser de vendre à un consommateur sans motif légitime. L’article L121-11 du Code de la consommation dispose qu’un professionnel ne peut refuser la vente d’un produit ou la prestation d’un service à un consommateur que s’il a un motif légitime . Par exemple, un commerçant ne peut refuser arbitrairement de servir un client particulier. Seules des raisons objectives peuvent justifier un refus (indisponibilité du stock, demande anormale, comportement insultant ou insolvabilité du client, vente réglementée nécessitant des conditions non remplies, etc. ). En cas de refus de vente injustifié à un consommateur, le professionnel encourt une amende administrative (1 500 € pour une personne physique, 7 500 € pour une société, doublé en cas de récidive) . Ce cadre vise surtout à protéger le consommateur contre les refus discriminatoires ou arbitraires. Il s’applique indépendamment d’une position dominante : même une petite entreprise ne peut refuser de vente en B2C sans raison valable.

En synthèse, un refus de vente est licite dans la plupart des cas de relations d’affaires normales, mais il devient fautif soit (1) s’il provient d’une entreprise en position dominante qui cherche ainsi à verrouiller un marché ou éliminer un concurrent, soit (2) s’il est opposé à un consommateur sans justification légitime.

 

Qu’est-ce qu’une pratique discriminatoire en concurrence ?

La discrimination en matière de concurrence vise les situations où une entreprise (notamment une entreprise dominante) n’applique pas les mêmes conditions à des partenaires commerciaux se trouvant dans des situations équivalentes, sans justification objective. L’article 102 du TFUE prohibe expressément le fait « d’appliquer à des tiers des conditions inégales pour des prestations équivalentes, en les plaçant de ce fait dans une situation désavantageuse dans la concurrence ». De même, le Code de commerce cite les conditions de vente discriminatoires comme un exemple d’abus .

Concrètement, il y a discrimination lorsque, par exemple, une entreprise dominante facture des prix beaucoup plus élevés à certains revendeurs qu’à d’autres pour un même produit, sans raison valable, de sorte que les premiers sont pénalisés par rapport aux seconds. La discrimination peut porter sur le prix (remises, ristournes ées de façon arbitraire), sur les conditions commerciales (délais de livraison, volumes minimum imposés, accès préférentiel à une innovation, etc.), ou sur tout avantage compétitif accordé à l’un et refusé à un autre sans justification.

Pourquoi est-ce un problème de concurrence ? Parce que cela fausse la compétition entre les clients ou partenaires eux-mêmes. Un fournisseur dominant pourrait, par exemple, favoriser un distributeur « ami » en lui accordant de meilleurs tarifs qu’aux autres, afin de renforcer la position de ce distributeur au détriment des concurrents de celui-ci sur le marché aval. Ce type de comportement est sanctionné car il introduit une distorsion artificielle entre acteurs économiques qui devraient être mis sur un pied d’égalité.

Illustration : Dans l’affaire United Brands déjà citée, en plus du refus de vente, l’entreprise dominante avait pratiqué une politique tarifaire différenciée selon les pays et les clients. La Cour de justice a condamné ces différences de prix injustifiées comme constituant un abus de position dominante de nature discriminatoire . De même, en France, l’Autorité de la concurrence a sanctionné la société Cegedim en 2014 pour avoir réservé l’accès à sa base de données à certains clients tout en le refusant à d’autres sur un critère discriminatoire (voir affaire Cegedim plus loin).

Il faut noter que toute différence de traitement n’est pas nécessairement illégale. Une entreprise peut appliquer des conditions différentes si elles reflètent des différences de coûts, de volumes, de situations objectives (par exemple, un client qui achète en très grande quantité peut légitimement obtenir un meilleur prix). La discrimination répréhensible est celle qui est arbitraire ou stratégique, visant à défavoriser certains acteurs sans lien avec une justification économique valable.

 

Qu’est-ce que l’abus de dépendance économique ?

L’abus de dépendance économique est une notion du droit français (inscrite à l’alinéa 2 de l’article L420-2 du Code de commerce) proche de l’abus de position dominante, mais distincte. Ici, l’entreprise en cause n’est pas forcément dominante sur l’ensemble d’un marché, mais elle profite de la dépendance particulière d’un partenaire commercial à son égard. On vise par exemple le cas d’un fournisseur relativement puissant et incontournable pour une petite entreprise cliente qui n’a pas d’alternative équivalente : le client se trouve en situation de dépendance vis-à-vis de ce fournisseur, même si ce dernier n’est pas dominant sur le marché global.

La dépendance économique se caractérise par une vulnérabilité d’une entreprise (cliente ou fournisseuse) envers une autre : part très importante du chiffre d’affaires en jeu, marque incontournable, absence de solution de remplacement équivalente, etc. . En somme, un partenaire est « captif » d’un autre. Cette situation doit en outre être subie (involontaire) : si l’entreprise s’est délibérément mise dans cette dépendance sans chercher d’alternatives, elle ne pourra pas ensuite la faire valoir pour se plaindre d’un abus .

Un abus de dépendance économique survient lorsque l’entreprise en position de force exploite cette dépendance de façon abusive, avec un impact sur le fonctionnement de la concurrence. Les types de comportements abusifs en situation de dépendance économique sont similaires à ceux de l’abus de dominance : refus de vente, ventes liées, pratiques discriminatoires, accords de gamme forcés, etc. . Par exemple, un fournisseur pourrait imposer à un distributeur captif des conditions excessives (prix très élevés, achats groupés de gammes complètes, etc.), sachant que ce distributeur n’a pas réellement la possibilité de s’approvisionner ailleurs, et ce faisant, il affaiblit la position concurrentielle de ce distributeur sur son marché.

Pour être sanctionné, l’abus de dépendance économique doit affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence . Ce n’est pas simplement un déséquilibre entre deux parties (ce genre de situation peut aussi être appréhendé par le droit des contrats ou des pratiques restrictives de commerce, comme le déséquilibre significatif dans les CGV). Il faut que l’abus ait une portée anticoncurrentielle plus générale. En pratique, l’abus de dépendance économique est moins souvent sanctionné que l’abus de position dominante, car il est délicat à prouver : il faut établir la situation de dépendance selon plusieurs critères, puis l’abus, puis l’impact sur la concurrence. Néanmoins, la loi prévoit cette notion pour couvrir des cas où une entreprise puissante, sans dominer un marché entier, profite de la faiblesse d’un partenaire pour obtenir des avantages injustes et porte atteinte à la concurrence.

 

Quels sont les fondements juridiques en droit français et européen ?

En droit français, les pratiques évoquées ci-dessus sont principalement encadrées par le Code de commerce :

• L’article L420-2 du Code de commerce prohibe l’exploitation abusive par une entreprise d’une position dominante sur le marché intérieur (ou une partie substantielle de celui-ci). Le texte cite expressément que ces abus peuvent consister en refus de vente, ventes liées, conditions de vente discriminatoires, ou encore dans la rupture de relations commerciales établies en cas de refus de conditions injustifiées . Le même article, au second alinéa, prohibe l’exploitation abusive par une entreprise de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve une entreprise cliente ou fournisseur vis-à-vis d’elle, dès lors que cela est susceptible d’affecter la concurrence. Là encore, des exemples d’abus de dépendance sont donnés : refus de vente, ventes liées, pratiques discriminatoires visées aux articles L442-1 à L442-3 (qui traitent des pratiques restrictives de commerce), ou accords de gamme imposés .

• L’article L420-1 du Code de commerce (pour mémoire) prohibe les ententes anticoncurrentielles (accords ou cartels entre entreprises faussant la concurrence). Ce n’est pas le sujet central ici, mais il complète le dispositif des pratiques anticoncurrentielles aux côtés de l’abus de dominance.

• Le Code de la consommation, article L121-11, interdit le refus de vente au consommateur sans motif légitime, comme évoqué plus haut . Ce texte relève du droit économique plus général et vise à protéger les clients particuliers.

• Par ailleurs, le droit français prévoit des sanctions pénales pour les comportements anticoncurrentiels. En particulier, l’article L420-6 du Code de commerce fait de la participation frauduleuse à une entente ou à un abus de dominance une infraction pénale. Ainsi, l’abus de position dominante, lorsqu’il résulte d’une action intentionnelle d’une personne physique (dirigeant, etc.), est un délit puni de 4 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende pour toute personne ayant pris une part déterminante dans la conception ou la de cet abus . (Notons cependant que les poursuites pénales en matière d’abus de position dominante sont rarissimes en pratique ; l’action principale reste de nature administrative devant l’Autorité de la concurrence, ou civile devant les tribunaux.)

En droit de l’Union européenne, le texte-clef est l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE). Il interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres peut en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur (ou une partie substantielle de celui-ci). L’article 102 TFUE énumère également des exemples d’abus :

• imposition directe ou indirecte de prix ou conditions de transaction non équitables ;

• limitation de la production, des débouchés ou du développement technique au préjudice des consommateurs ;

• application de conditions inégales à des partenaires commerciaux pour des prestations équivalentes, procurant à certains un désavantage concurrentiel (discrimination) ;

• fait de subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires sans lien avec l’objet du contrat (ventes liées ou ventes forcées).

Cette liste de l’article 102 TFUE recoupe largement celle du droit français et n’est pas limitative. Toute pratique abusive remplissant les critères (position dominante + exploitation abusive) peut être sanctionnée. Le droit européen s’applique parallèlement au droit national : une autorité nationale (comme l’Autorité de la concurrence) peut appliquer l’article 102 TFUE si le comportement affecte le commerce entre États membres, de même la Commission européenne peut intervenir. En pratique, les règles françaises et européennes contre l’abus de domination sont fortement harmonisées et souvent appliquées de concert.

Synthèse : Le cadre juridique prévoit donc une interdiction claire de l’abus de position dominante, tant au niveau national qu’européen, avec des exemples concrets inscrits dans la loi. Les notions de refus de vente, de discrimination, de ventes liées, etc., trouvent chacune leur fondement textuel dans ces dispositions. Les entreprises qui enfreignent ces règles s’exposent à de lourdes sanctions administratives (pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise en cause en France comme en UE) et éventuellement à des actions en dommages-intérêts de la part des victimes.

 

Jurisprudence : les affaires marquantes en matière d’abus de position dominante

De nombreuses décisions de justice et de l’Autorité de la concurrence ont précisé les contours de l’abus de position dominante et illustré concrètement les pratiques interdites. En voici un panorama des affaires les plus emblématiques en France et en Europe, avec pour chacune le contexte et l’apport juridique :

Affaire (année, juridiction) Problématique principale Décision et principe dégagé
Commercial Solvents (1974, CJCE) Refus de fournir une matière première essentielle à un concurrent sur un marché dérivé (fabrication d’un médicament) Abus de position dominante caractérisé : une entreprise dominante ne peut cesser ses ventes dans le but de réserver le marché dérivé à son propre produit, au d’éliminer toute concurrence . Obligation de fournir lorsqu’un refus vise à évincer un concurrent.
United Brands (1978, CJCE) Pratiques d’exclusion et de discrimination par le leader du marché de la banane (clause d’exclusivité “banane verte”, différences de prix) Abus de position dominante retenu : définition de la position dominante (≈45 % de parts de marché jugées dominantes) et condamnation des clauses d’exclusivité empêchant les intermédiaires de distribuer des produits concurrents . De plus, la politique de prix différenciés injustifiés entre clients a été jugée discriminatoire et anti-concurrentielle .
Oscar Bronner(1998, CJCE) Refus par un éditeur dominant (Mediaprint) de donner accès à son réseau de distribution de journaux à un éditeur concurrent (Bronner) Pas d’abus dans ce cas : la Cour a estimé que le réseau de distribution n’était pas indispensable (d’autres moyens de distribution existaient, même s’ils étaient moins efficaces) et que le refus n’éliminait pas toute concurrence pour Bronner. Cet arrêt a établi les critères stricts de la doctrine des facilités essentielles (essentialfacilities) pour qu’un refus de vente soit abusif.
Microsoft (2004, Commission Européenne; confirmée TPICE 2007) Abus de domination par une entreprise high-tech en quasi-monopole (système d’exploitation Windows) – deux volets : refus de communiquer des informations d’interopérabilité à des concurrents, et vente liée du lecteur Windows Media Player avec Windows Abus de position dominante confirmé : Microsoft a écopé d’une amende record et a dû divuluer les protocoles permettant l’interopérabilité serveur, son refus constituant un abus (verrouillage du marché des serveurs compatibles) ; de plus, l’intégration forcée de son lecteur Media Player dans Windows a été jugée comme une vente liée abusive cherchant à éliminer les logiciels concurrents. Cette affaire illustre que même en matière de propriété intellectuelle, un refus de licence peut être abusif dans des circonstances exceptionnelles (Microsoft a dû proposer une version de Windows sans Media Player).
Cegedim (2014, Autorité de la concurrence) Refus de vente discriminatoire d’une base de données essentielle (données médicales) par son éditeur, à l’encontre de clients utilisant un logiciel concurrent Abus de position dominante sanctionné par l’Autorité : Cegedim, en position dominante sur le marché des bases de données médicales, avait refusé de vendre sa base de référence aux clients utilisant le logiciel concurrent Euris, invoquant un litige avec ce dernier. L’Autorité a jugé ce refus discriminatoire et abusif, entravant le développement d’Euris, et infligé 5,7 M€ d’amende . Cette décision souligne qu’un refus de vente ciblé pour des motifs extra-commerciaux (litige) est illicite si l’entreprise a un pouvoir de marché.
Schneider Electric (Engagements 2017 Autorité; CA Paris 2022) Refus de vente de pièces détachées « à sec » (sans prestation de service) par le fabricant dominant d’équipements électriques, imposant aux clients l’intervention de ses propres techniciens (suspicion de vente liée visant à exclure les réparateurs indépendants) Intervention de l’Autorité : face à cette pratique, l’Autorité de la concurrence a émis une évaluation préliminaire d’abus de position dominante (vente liée) et obtenu de Schneider des engagements en 2017 consistant à former des techniciens tiers et à vendre les pièces sans imposer son service . Action privée en justice : une entreprise concurrente (SHB) a tenté en parallèle d’obtenir réparation en justice, mais la Cour d’appel de Paris a rejeté sa demande en 2022 faute d’une définition rigoureuse du marché pertinent et donc d’une preuve suffisante de la position dominante de Schneider . Cette affaire illustre la difficulté des recours privés (private enforcement) lorsqu’aucune décision administrative préalable n’a formellement établi l’infraction : le juge a exigé une démonstration économique complète (délimitation du marché, part de marché, absence de dominance explicitement constatée dans les engagements).

Remarques : D’autres affaires notables auraient pu être citées, comme Hoffmann-La Roche (1979, CJCE) sur les programmes de fidélisation (rabais conditionnels jugés abusifs), Irish Sugar (1999, Commission) sur la discrimination tarifaire géographique, Intel (2017, CJUE) sur les rabais d’exclusivité ou encore les différentes affaires Google (2017-2019, Commission) concernant le favoritisme de ses propres services ou le conditionnement de l’OS Android. Chacune a contribué à affiner l’analyse des pratiques des entreprises dominantes. Le tableau ci-dessus se concentre sur des décisions illustratives liées au refus de vente, à la discrimination ou à la dépendance, conformément à notre sujet.

 

Quelles sont les voies de recours en cas de pratiques anticoncurrentielles ?

Face à un abus de position dominante ou à des pratiques anticoncurrentielles subies, une entreprise ou un acteur lésé dispose de plusieurs voies de recours en France. Ces recours peuvent être cumulés ou empruntés successivement :

• Saisine de l’Autorité de la concurrence : L’Autorité de la concurrence (autorité administrative indépendante) peut être saisie par toute entreprise ou personne estimant être victime de pratiques anticoncurrentielles (abus de dominance, ententes, etc.). La saisine est gratuite et confidentielle. L’Autorité enquête (perquisitions possibles, demandes de documents…) et peut, si les faits sont avérés, prononcer une décision de sanction. Les sanctions peuvent aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires mondial du groupe fautif, plus éventuellement des injonctions de cesser les pratiques . L’Autorité peut aussi accepter des engagements proposés par l’entreprise mise en cause pour corriger la situation (solution négociée, sans amende, comme dans l’affaire Schneider Electric 2017 ci-dessus). En cas d’urgence avérée, l’Autorité peut ordonner des mesures conservatoires (injonctions provisoires) pour faire cesser immédiatement un trouble grave à l’économie ou à un secteur, dans l’attente d’une décision au fond. Les décisions de l’Autorité de la concurrence peuvent ensuite faire l’objet d’un recours devant la Cour d’appel de Paris (spécialisée en la matière), puis devant la Cour de cassation.

• Action devant les tribunaux (voie civile/commerciale) : Indépendamment ou postérieurement à une saisine de l’Autorité, les victimes d’un abus de position dominante peuvent agir en justice pour obtenir réparation du préjudice subi. Il s’agit d’une action en responsabilité civile (ou commerciale) fondée sur la faute anticoncurrentielle. Les juridictions compétentes sont en général le tribunal de commerce (entre professionnels) ou le tribunal judiciaire (si la victime est un non-commerçant, par ex. une collectivité). Le juge judiciaire peut octroyer des dommages-intérêts pour le manque à gagner, la perte subie du fait des pratiques abusives. Depuis la directive UE « Private Enforcement » de 2014 transposée en droit français, les actions en dommages pour pratiques anticoncurrentielles sont favorisées (facilités de preuve, reconnaissance de la décision de l’Autorité comme preuve de la faute, etc.). Le juge peut également prononcer des injonctions pour faire cesser la pratique (par exemple ordonner à l’entreprise dominante de contracter avec la victime, de rétablir des conditions normales, etc.). Il est possible de solliciter en urgence un référé devant le président du tribunal de commerce pour obtenir des mesures conservatoires rapides si le dommage imminent est grave (suspension d’une rupture de contrat, réouverture temporaire d’accès à un produit, etc.), même si les conditions d’un référé en matière de concurrence sont strictes (il faut démontrer l’évidence de l’infraction ou le trouble manifestement illicite). À noter que la preuve d’un abus de position dominante devant le juge nécessite une analyse concurrentielle rigoureuse (délimitation du marché, démonstration de la dominance, preuve de l’abus et du lien de causalité avec le préjudice). Si une décision de l’Autorité de la concurrence a déjà sanctionné l’abus, cela facilite grandement l’action civile ultérieure (la faute est déjà établie). En revanche, en stand alone (sans décision préalable), la partie demanderesse doit convaincre le tribunal sur tous ces points (voir l’exemple de l’affaire SHB vs Schneider où l’action privée a échoué faute de preuve suffisante de la dominance ).

• Plainte auprès de la Commission européenne : Si l’affaire dépasse le cadre national (par exemple, pratiques affectant plusieurs pays de l’UE ou émanant d’une entreprise multinationale), il est possible de saisir directement la Commission européenne (DG Concurrence) pour violation de l’article 102 TFUE. Toute personne peut déposer une plainte formelle auprès de la Commission. La Commission sélectionne toutefois les dossiers présentant un intérêt communautaire majeur. Si elle prend la plainte en charge, elle mènera sa propre enquête (avec les pouvoirs d’inspection européens) et pourra infliger des sanctions pouvant également atteindre 10 % du CA mondial, comme elle l’a fait dans de retentissantes affaires (Microsoft, Google, Intel, etc.). La Commission peut aussi ordonner des mesures correctives (cessation de pratiques, modifications structurelles). L’avantage de passer par la Commission peut être de traiter le problème de manière globale pour toute l’UE. Cependant, la Commission reçoit de très nombreuses plaintes et n’en traite qu’une partie ; de plus, la procédure peut être longue. Il faut aussi savoir que si la Commission ouvre une enquête sur une affaire donnée, les autorités nationales (comme l’Autorité française) devront en principe se dessaisir du dossier (principe de priorité communautaire).

En résumé, une entreprise confrontée à un comportement qu’elle estime relever de l’abus de position dominante a intérêt à : (1) documenter précisément les faits et leur impact, (2) évaluer si une saisine de l’Autorité de la concurrence est opportune (pour faire cesser l’infraction et faire sanctionner, avec l’avantage de l’ de l’Autorité), et/ou (3) envisager une action judiciaire pour obtenir réparation (sachant que celle-ci peut être facilitée après une décision de l’Autorité). Ces voies ne sont pas exclusives – par exemple, on peut saisir l’Autorité et en même temps demander en référé au juge une mesure conservatoire rapide. La stratégie dépendra de l’urgence, du degré de preuve réuni, et de l’ampleur du préjudice.

 

Pourquoi se faire accompagner par un avocat spécialisé ?

Les notions d’abus de position dominante, de refus de vente abusif ou de discrimination anticoncurrentielle comptent parmi les plus techniques et complexes du droit des affaires. Pour une entreprise victime (ou présumée auteur) de telles pratiques, le recours à un avocat spécialisé en droit de la concurrence présente de nombreux atouts :

• Analyse juridique et économique pointue : Un avocat compétent en concurrence saura évaluer si la situation rencontrée constitue réellement une infraction au regard des critères légaux et jurisprudentiels (définition du marché pertinent, calcul des parts de marché, examen du caractère abusif du comportement, etc.). Il pourra s’appuyer sur des économistes le cas échéant pour bâtir une démonstration solide, indispensable devant l’Autorité ou les tribunaux.

• Montage d’un dossier convaincant : Les procédures devant l’Autorité de la concurrence exigent des preuves robustes et bien présentées (documents internes, échanges, données chiffrées démontrant l’effet sur le marché…). Un avocat saura quelles informations réunir, comment les articuler juridiquement et comment répondre aux arguments adverses (par exemple, montrer l’absence de justification objective d’un refus de vente). Cela peut faire la différence entre une saisine fructueuse et un rejet.

• Procédure et stratégie contentieuse : Un avocat expérimenté pourra conseiller sur la meilleure stratégie de recours (Autorité de la concurrence vs. tribunal, ou les deux, plainte nationale vs. européenne, etc.), en évaluant les chances de succès de chaque voie. Il maîtrisera les procédures spécifiques (règles de prescription, délais, possibilités de mesures d’urgence, etc.) et saura naviguer dans le processus (par exemple, lors des auditions devant l’Autorité, dans la phase de consultation des tiers, ou devant la Cour d’appel en recours).

• Négociation et solutions alternatives : Parfois, le simple fait d’impliquer un avocat et de notifier à l’entreprise dominante les griefs juridiques peut favoriser une résolution amiable. L’avocat pourra mener des négociations en vue d’engagements ou de modifications de comportement de la partie adverse, évitant ainsi un long . À défaut, il sera prêt à engager la bataille contentieuse avec les meilleurs atouts.

• Maximisation des chances de succès et de réparation : Enfin, en cas de contentieux, l’intervention d’un avocat augmente nettement les chances de succès et permet de la réparation obtenue. Il saura chiffrer le préjudice (pertes de profit, dommages à la réputation, etc.) ou solliciter des experts pour le faire, afin de réclamer une indemnisation adéquate. De même, il veillera au respect des droits de son client tout au long de l’enquête (droit de la défense, secret des affaires, etc.).

En conclusion, le droit de la concurrence est un domaine où la technicité juridique et économique est élevée. Que ce soit pour prévenir un risque (audit de pratiques commerciales potentiellement dominantes) ou pour agir contre un abus subi, faire appel à un cabinet d’avocats spécialisé permet de sécuriser sa position. C’est un investissement précieux pour sécuriser sa stratégie contentieuse et mettre toutes les chances de son côté, face à des enjeux financiers et concurrentiels souvent majeurs. Un conseil avisé aidera l’entreprise soit à adapter son comportement pour rester conforme à la loi, soit à faire valoir ses droits avec la plus grande efficacité en cas de concurrence déloyale de la part d’un acteur dominant. Ainsi armée, l’entreprise pourra évoluer sur son marché en étant protégée ou conseillée au mieux dans l’environnement concurrentiel complexe d’aujourd’hui.

Maître Nabil Fadli

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